Lisptick, powder & rock’n’roll

First Publish Modzik – paper magazine march 2014

Lipstick, powder & rock’n’roll

Si la mode depuis les années 90 joue régulièrement sur les genres en Beauté, à l’image d’Andrej Pejic, top transsexuel qui a défilé en 2011 pour Jean-Paul Gauthier ou encore Raf Simons, la musique elle, va plus loin. La Beauté et le Make up chez les musiciens transforment et même transgressent la question de genre…pour se faire l’écho d’une génération anti- normalité.

De 70 à 80, le rock sème les graines d’une révolution du genre. Il faut dire que la culture du divertissement, avec l’émergence du VIH et la mise a nue de l’homosexualité comme la bisexualité, joue un rôle non négligeable dans cette métamorphose des moeurs. Se sentant inadaptés et rejetés, les artistes, en fer de lance, vont s’opposer aux codes d”une société patriarcale, où la femme est objet de convoitise. Le maquillage et la mode, outils de séduction, sont adoptés par les musiciens qui se font une joie d’en prendre le contrepied pour transcender l’individualité et bousculer la norme.

Du studio 54 d’Andy Wharol au CBGB, en passant par l’oeil charbonneux de Siouxsie and the Banshees ou encore le No-Make Up revendiqué des Riot Grrls : le maquillage, dans les mains de ces déjantés, laisse planer l’ambiguité du genre.

Make up…whatever

Alors que le batteur, Scott Asheton, des Stooges est mort le mois dernier, on se souvient des yeux ronds, cerclés d’eyeliner d’Iggy Pop sur scène. Fort d’une rage animale, l’usage du make up par le leader des Stooges, est dirigée vers la transgression. Ses yeux brumeux, crayonnés, marquent la rétine. Car celui qui clame « I wanna be your dog», agitant son micro et désignant de son majeur ses yeux écarquillés, tétanise autant qu’il fascine. Sur d’autres clichés, il pose en compagnie de la peroxydée Debbie Harry, au CBGB, quasi plus grimé que la chanteuse icône du glamour New Wave. Car, à l’instar de Patti Smith, la marraine du punk, le nude est un pouvoir que la femme rock, reprend sur le make up et à travers lui, sur la société. A l’opposé, l’artiste masculin va se servir du maquillage, pour sublimer les frustrations d’une société intolérante et encore peu prête à l’évolution sexuelle qui approche. Le maquillage rehausse un phénomène certes marginal, mais qui ne demande qu’à en découdre.

A l’instar d’Iggy Pop qui s’érige contre toute forme de normalité, d’autres vont utiliser le Make-Up comme un travestissement scénique, asexué et fatalement provocant. D’un contour noir léger à un oeil charbonneux à l’excès, le maquillage sombre fait son entrée. Que se soit du côté de la communauté néo-gothique et pop rock, façon Robert Smith (The Cure) ou de la vague punk made in 77, et sa vision pessimiste du système, cette utilisation devient une identification. Avec le rock, le Make Up démarque l’artiste qui, plus que quiconque, montre un mal être individuel et sociétal.

Un fard qui prend alors tout son sens lorsqu’il est manipulé par ces réactionnaires anti-Tatcher qui détourneront les éléments d’une société consumériste pour se transformer autant qu’ils voudraient donner un grand coup de pied dans un système enrayé.

Brouiller les pistes

Avec le rock, la drogue et le sexe, c’est le style décadent qui devient, lui aussi, monnaie courante. Presque autant que l’homophobie et le racisme latent. Le maquillage est utilisé contre un sexisme que le punk rejette autant que la société telle qu’elle se trouve. A ce titre, No Means No, précurseurs du grunge, s’en expliquent en 1986: « L’entière attitude et la domination masculine dans la société nous ont mené à un point d’autodestruction. Une des façons de sortir de ce schéma est […] de cesser d’être totalement masculins dans notre façon d’agir envers l’autre… »***. De cette faculté à se démarquer, la beauté attire le regard par cet aura mystérieuse, sensuelle, voire spirituelle. Autrement dit, dans le rock : la beauté, modelée de la sorte, aide les artistes à jouer avec ambiguité de leur personnalité et de leur sexe.

Le maquillage renforce cette ambiguité équivoque d’un nouveau courant : le glam rock. Gloss, paillettes et compensées font une entrée fracassante sur les corps androgynes de Johnny Thunders et Jerry Nolan fondateurs des décadents New York Dolls. Déchainés et délurés, le groupe qui partage les scènes des MC5, Ramones et autres Stooges, embrasse le public, tout aussi paumé, à coups de crayons et de fards à paupières et signent leur pochette de disque d’un rouge à lèvres clinquant. Choquant, leur look de travelo exubérant déverse une ambiguité sexuelle dérangeante. De quoi surprendre d’autant plus lorsqu’ils allument les amplis et frottent vigoureusement les cordes de leurs guitares…quitte à se casser un ongle.

L’uniforme glam rock devient la référence et les artistes masculins s’octroient cette part de féminité que la société ne leur a jamais accordée.

Lady Stardust

En 77, les poupées new-yorkaises, jouant sur les clichés, ont déjà laissé place à un jeune anglais à l’oeil vairon. Car dès 1972, Bowie et son double Ziggy, affirment davantage le rôle de transformation identitaire du Make-Up. Repris par le hard rock dans les années 80, à l’image du groupe glam métal : Kiss, qui en déploiera même un style très largement marqueté, derrière le mystère de leur anonymat. Bowie opère une mutation en son double fantasque et fantasmé. Ziggy Stardust, à l’identité bisexuelle affirmée, insuffle à l’ évanescence New Wave, pop et rock de Bowie, un penchant singulier pour le style. Icône pop bien connue aujourd’hui, l’image de Bowie s’est d’autant plus façonnée avec la pochette de l’album « Aladdin Sane », photographié par Brian Duffy. Le portrait de Bowie, réalisé par le Make up artiste Pierre Laroche, révèle, à coups de far à joues, de lèvre orangées et d’un éclair bleu profond lui barrant le visage, toute sa complexité intérieure. Une image que reprendra quelque trente ans après, la chanteuse dance-pop : Lady Gaga.

Si l’artiste se dédouble en beauté c’est que la schizophrénie n’est pas inconnue à Bowie, déchiré par la mort de son grand frère atteint de la maladie. Avec l’album « The Rise and fall of Ziggy Stardust  and the Spiders form Mars», il met en place un alter ego décadent, représentant les mœurs de la société. Inspiré par l’underground arty new-yorkais, ses styles déclinés, donneront coup d’éclat sur coup d’éclat.

« Je l’ai vu porter des vêtements que j’avais conçus à l’origine pour les femmes », confie Kansai Yamamoto, designer japonais à l’origine de ses meilleurs costumes*. Avec l’album : « The Man who sold the world », Bowie s’habille en femme, et fait de l’attirail glam rock, un pavé dans la marre. Pourtant Bowie dit « bye-bye » à Ziggy. Plus tard, il affirmera même que ce double tentaculaire était plus un produit de son temps, symbole d’une attraction de l’artiste et de sa génération pour la culture homosexuelle, qu’une bisexualité marginale.

Bowie tue Ziggy et sans son double, le musicien amorce une descente, largement entrainée par la cocaïne et son éloignement du producteur Mick Ronson, mais l’artiste pop a déjà magnifie beauté et style, les intégrant dans une œuvre musicale à part entière.

L’héritage androgyne

Un élan créatif souvent repris mais jamais égalé. Si Bowie aimait faire planer le doute sur son hétérosexualité, le punk et la communauté Queer, tous deux marginalisées, en font une revendication. Les groupes gay et lesbiens sont effervescents. Les Tribe 8, les Limp Wrist et White Trash Debutants, ouvrent la voie avec une sans maquillage provocant. D’hier à aujourd’hui culture rock et sexualité restent intimement liées. Tom Gabel en fait l’expérience. Leader du groupe punk rock Against me ! Il y a trois ans, il affichait en Une du Rolling Stone américain, son coming out bluffant. Il y dévoile alors les premières étapes, en image et démontre comment le soutien de la communauté rock, lui permet une transformation assumée, même sous le feu des projecteurs… Laura Jane Grace, ainsi rebaptisé par la suite, donne désormais des conseils make up et mode sur MTV, et évoque dans l’opus : « Transgender Dysphoria », un mal-être transcendé par l’ouverture d’esprit, sans tabou, que le rock semble porter à bras le corps.

Une arme complexe

Dans les années 90, la déferlante Riot Grrls reprend du poil de la bête. Activistes féministes punk, et make up s’opposent. Kathleen Hanna, chanteuse de Bikini Kill, en 1998, relance une génération, à la fois féministe et féminine, qui la voie monter sur scène en culotte et transformer sa poitrine en étendard. En clamant ; « When she talks, I hear the revolutions, In her hips, there’s revolutions »***, Kathleen Hanna, redore l’aura cool que le féminisme à perdu en chemin. La beauté détournée ou non, s’est donc, développée dans le rock par un look identifié. Le tout emmené par un désir de liberté un son et une vision, entrainant les générations…Car a y bien regarder, qui aurait pu penser que mascara et Perfecto puisse un jour, autant déranger la société ?

Tiphaine Deraison

*(interview Vice – spécial mode, PE 2014).
**Magazine Maximum Rock’n’roll
*** (titre : « Rebel Girl »)

Abus Dangereux N°129

First published in Abus Dangereux magazine March 2015

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Touche Amore

L’image qu’on laisse de soi

Amorcé en 2007, le groupe de Los Angeles, n’en démord pas. Il est l’héritier d’un emo-core 90’s cinglant et profond.

Mêlant les ravages heavy de guitares à la fois influencées par Converge et Thursday, « Is survived by » est le troisième album du combo de Los Angeles. Un album qui perce et reflète, toujours plus cet état d’esprit singulier. « Parting the sea between brightness and me » sorti en 2011, les avait propulsés le long des routes et surtout affirmés sur un label très rauque : Deathwish records. Le label de Jacob Bannon de Converge. Sans larmoiement, Touche Amore pousse un cri qui n’en finit plus de retentir, écho après écho,de cirque de montagne en désert du Nevada. Il se répercute jusqu’à ce que le groupe devienne avec ce 3ème opus un incontournable de la scène hardcore californienne et la première partie de groupes tel American Nightmare ou AFI.

En découvrant Is Survived By, je me suis tout de suite demandée, d’où venait le titre. Jeremy a alors ri, en me disant : « C’est la première fois qu’on me le demande. En soi ça ne veut rien dire. Mais c’est un appel au futur plus qu’un titre négatif. J’ai vu cette expression dans les journaux, tu sais dans la rubrique nécrologie. Lorsque les familles annoncent un décès on écrit « M.Untel laisse derrière lui (is survived by) son fils et sa fille Untel… », c’est à la fois certes, une référence à la mort mais surtout à ceux qui nous survivent, et donc qui gardent notre mémoire. Ceux qu’on laisse derrière nous… ». Jamais un groupe n’aura provoqué un tel tremblement de terre. Piano Become The Teeth, serait peut-être un de ceux qui les rejoindrait le mieux sur scène. Mais une chose n’en égale pas une autre, et Jeremy Bolm, n’a d’égal que lui-même. Atypique, le personnage n’en est pas moins sincère. « True » comme disent les américains. Un être qui dérange les hypocrites par tant de candeur cachée derrière une voix dantesque.

Punk News a écrit une chronique de ce nouvel album en affirmant que toi, Jeremy – lead singer, tu rends cet album très spécialement profond par ce que tu dégages dans ta voix, une vulnérabilité et une sensibilité certaines », cette phrase m’a fait écho, j’aimerai savoir ce que tu en penses ?

Jeremy Bolm : c’est flatteur, c’est vrai que c’est un disque très personnel. S’ ils ont en plus ressenti cela en écoutant notre disque ,je suis content de leur conclusion !

C’en était le but ?

J : Oui tout à fait, j’ai jamais écrit une chanson à laquelle je n’étais pas émotionnellement attaché. Je ne voudrais pas prendre quelque chose de ceux qui l’écoutent, j’aurais la sensation de les voler par manque d’honnêteté. Ce n’est car pas complètement honnête. Je veux donner autant que possible car le public m’offre un peu de son temps, c’est donc la moindre des choses à faire en retour. Dans la composition également c’est important de donner le plus possible.

Vos influences semblent se rapprocher de groupes comme Thursday, comment vous ont-ils influencés ?

J : C’est un groupe que j’ai découvert quand j’avais 17 ans. Dès les premières chansons que j’ai entendues d’eux je suis complètement tombé amoureux. Ils m’ont influencé dans beaucoup de voies différentes aussi bien musicalement que dans les paroles et leur façon d’être. Je les ai rencontrés sur une de leurs premières tournées californiennes. Il ouvraient pour quatre groupes dont Murder City devils. Ils jouaient à peu près devant trente gamins ! Ce soir-là on est devenu amis en quelque sorte. Aujourd’hui, ils sont toujours ceux que j’ai rencontrés. Je les ai vus aller au travers de la popularité comme de l’adversité. Lorsque tu fais un disque qui n’est pas bien apprécié par exemple. Je les ai vus durant presque toute leur carrière et ils sont restés identiques à eux-mêmes. Humbles, gentils et attentionnés c’est inspirant de voir ça, car avec le temps ils pourraient avancer et oublier que l’on se connait car ils jouent dans de grosses salles etc. Mais ce n’est pas le cas. Il sont vraiment importants pour moi et c’est aussi à cause de ce respect qu’ils ont envers moi que je les apprécie d’autant plus. On réfléchit beaucoup à ce que l’on fait en tant que groupe à cause d’eux.

C’est important, de rester humble? Car vous avez eu ces dernières années une grosse évolution !

J : Oui, absolument. L’idée de ne pas l’être m’est bizarre. Comment quelqu’un peut être égoïste ou avoir la grosse tête à cause du succès de son groupe ? Pourquoi quelqu’un serait agressif ou malpoli envers quelqu’un qui écoute sa musique ? Ce genre d’artistes agissent comme si tu les ennuyais alors que c’est tellement l’opposé de ce que cela devrait être ! Ce n’est pas logique. Nous on veut juste se faire plaisir. Trainer, parler et donner autant que l’on peut. Pour moi ça , c’est logique.

On vous représente parfois dans les médias comme un « hipster band » alors que vous semblez totalement opposés à cela, tu en penses quoi ?

J : …mais en même temps, quel groupe de hardcore s’est vu être accepté en dehors de cette communauté ? Tous ceux qui ne connaissent pas le hardcore peuvent plus aisément nous étiqueter « hipster band » car ils n’y connaissent rien en fait. Je pense que ces remarques viennent le plus souvent par jalousie. Les gens aiment pointer du doigt, critiquer et enfoncer les autres dès qu’ils le peuvent. Peut-être parce qu’ils ne se sentent pas acceptés de la manière dont ils sont. Peu m’importe qui écoute notre groupe, on l’accepte et que ce soit un métaleux, un mec qui écoute du hip hop ou un gars qui aime exclusivement Mumford & sons. Je dis juste à notre public, quel qu’il soit : « merci, j’ apprécie beaucoup ». Je n’ai pas non plus besoin d’avoir une audience uniquement punk/hardcore et de m’entêter à bousculer des idées arrêtées comme ceux qui nous voient comme un « hipster band » en ont… d’ailleurs je n’irai pas très loin à faire ça au final ! Je veux faire de la musique écoutée par autant de gens que possible. Tout le monde veut s’éclater dans un groupe après tout et je pense que tout le monde devrait en faire un !

Tiphaine Deraison

Discographie :

…To the Beat of a Dead Horse (2009)

Parting the Sea Between Brightness and Me (2011, Deathwish)

Is Survived By (2013, Deathwish)

EPs

Demo (2008, No Sleep)

Searching for a Pulse/The Worth of the World (split with La Dispute) (2010, No Sleep)

Touché Amoré / Make Do and Mend (split with Make Do and Mend) (2010, 6131/Panic)

Touché Amoré / The Casket Lottery (split with The Casket Lottery) (2012, No Sleep)

Touché Amoré / Pianos Become the Teeth (split with Pianos Become the Teeth) (2013, Deathwish/Topshelf)

Touché Amoré / Title Fight (split with Title Fight) split (2013, Sea Legs)